Colette a écrit des textes magnifiques sur les travaux d’aiguille.
Les plus souvent cités sont La Couseuse dans la Maison de Claudine et certaines pages de Belles Saisons I ou de l’Etoile Vesper consacrées au point croisé.
Ce petit passage du Fanal Bleu, semble en revanche plus méconnu. Elle y dresse une liste d’achats confiée à une amie qui part pour Genève, un peu après la guerre.
"(…) Je voulais une tresse de fil et une tresse de soie, composées d’aiguillées égales et multicolores à l’ancienne manière, nouées à chaque bout comme les cervelas. Je les ai. Un peu maigres, mais un joli travail de natte à la main, une vraie passementerie. Je voulais des boutons pour la lingerie, en nacre, à quatre trous. En nacre, je ne dédis pas. Oui, en nacre, folie et dilapidation ! Et des aiguilles, donc, des aiguilles « anglaises » (quand j’étais petite, leur enveloppe vernissée était déjà imprimée en allemand), des aiguilles que nous appelons, nous autres techniciennes du cousu main, « à chas diminué ». Et de la laine à repriser, en cartes. Et de l’élastique pour coulisser les ceintures des culottes en maille. Et des bobines de fil vieux style, du « fil poissé » pour coudre dans du cuir. Ai-je cousu, couds-je, coudrai-je dans du cuir ? Là n’est pas la question. Et du cordonnet de soie en vraie soie, pour refaire les boutonnières fatiguées des vêtements d’homme… Un étrange bien-être se peut donc puiser dans l’aspect, le contact de certaines « fournitures » que n’à jamais régies, ni modifiées, aucun souci d’esthétique ou de modernité ? Bien sûr. Mais c’est parce que je suis encore riche, je n’utilise pas à la manière ordinaire. Dans un sens magique de contemplation et d’évocation, je m’enrubanne de mercerie. Vous ne vous figuriez tout de même pas qu’elle a su, ma main droite un peu pelotonnée par l’habitude d’écrire, enfanter ce chef-d’œuvre de régularité, de discret relief, de solidité : une boutonnière de vêtement de masculin ? J’entends la boutonnière au point de feston, naturellement. L’autre, la boutonnière dite passepoilée, n’offre aucune poésie.
Pour ce qui est des aiguilles à tapisser, la recherche est décevante. En France, néant. En Suisse, le désert. Il y a longtemps que dans les grands magasins français on me répond : « Nous ne connaissons pas ça. Oui, autrefois, je ne dis pas… » avec la tête penchée de côté, vous savez, un peu comme le chien à qui on offre le verre vide, et on me propose, compensatrices, des aiguilles à repriser ! Je projette, quand mon meilleur ami reprendra le volant et sa patience, de m’arrêter à toutes les petites merceries de village, les vraies, celles qui ont encore un portillon et une sonnette, celles qui mettent les boutons dans la boîte à laine, la laine dans le tiroir à lacets, les lacets dans le compartiment aux fermetures éclair, celles qui embaument le hareng saur, celles, enfin, où une fillette se tourne vers la sombre arrière-boutique en criant : « Maman, je les trouve pas, ces aiguilles que le dame me parle ! "
Je vous invite à lire ou relire Colette pendant vos vacances. Personnellement mes livres préférés sont les récits et souvenirs qu’elle écrit à la fin de la vie… mais vous pouvez trouver ici des résumés qui vous aideront à en choisir d'autres.
4 commentaires:
Merci de nous faire découvrir ce texte magnifique et si près de notre passion .... Colette était une femme douée d'une extrème sensibilité que l'on ressent à chaque lecture et à travers tous ses mots couchés sur le papier ... A bientôt !
je connaissais le texte mais j'ai été bien contente d'aller explorer le site que tu cites.
j'encourage les copines à faire de même.
puis je copier la photo du coussinet de lavande?
très jolie cette liste de course.... De belles descriptions sont un autre ravissement dans "le Rêve" de Zola...On en redemande hélène...
Oui, Marjorie, tu as raison...Il y a aussi des textes chez Zola. Et ne parlons pas du "Au bonheur des Dames".
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