dimanche 16 août 2015

Histoire de crapauds

Il a fait chaud cet été, très chaud. Trop chaud pour moi en tout cas ! Un après-midi dans le village où j'aime passer mes vacances, les bœufs hurlaient littéralement sous le soleil.
  Et soudain, en allant me rafraîchir, voilà ce que j'ai découvert dans les escaliers menant à la cave :
J'ai d'abord cru à une feuille de marronnier, en avance sur l'automne. Mais c'était bien un crapaud ! Il avait l'air à moitié mort, ne bougeait plus, à la recherche d'un peu de fraîcheur. Non avec une certaine répugnance, je l'ai observé. Et j'ai fini par le trouver attachant et à me faire du souci pour lui. Avait-il besoin d'eau ? Etait-il incapable de regagner la forêt ?
Je passai les heures chaudes de cet après-midi là à me rendre régulièrement au chevet de ce pauvre crapaud, rassurée quand je le voyais cligner un œil. Je l'ai aspergé d'eau mais il restait sans réaction aucune... A la tombée de la nuit, il a enfin disparu sans me dire au revoir, ne laissant comme souvenir de son passage que quelques crottes !
Si je n'avais pas été une citadine, j'aurais su que dormir le jour dans un coin frais est une activité normale de crapaud. En voulant aider ce gros paresseux, je l'avais sans doute dérangé. Combien de fois par méconnaissance, faisons-nous de telles maladresses ?

Plongée dans mes pensées de fin de journée, je me remémorai les légendes d’autrefois où des belles embrassaient des crapauds qui se métamorphosaient en prince charmant. Personnellement, même si je commençais à le trouver mignon, j'aurais bien été incapable de le faire !
Je me souvenais aussi d'un livre illustré de mon enfance. Un conte de Perrault où, sous l'effet de sortilèges, une fille méchante crachait des serpents et des crapauds alors que sa douce sœur, elle, déversait à chacune de ses paroles, des fleurs et des pierres précieuses.
 Combien de fois avais-je répandu autour de moi des crapauds plutôt que des fleurs en ne prononçant pas des paroles d'amour ?
Je revoyais enfin le tentateur des vierges folles de la cathédrale de Strasbourg dont le dos grouille d'amphibiens, lézards, serpents. Combien de fois avais-je caché mes véritables intentions derrière des airs innocents ?

De retour chez moi, je suis reconnaissante à cet innocent animal devenu malgré luis symbole du mal, de m'avoir inspiré ces réflexions durant ma retraite estivale. J'espère qu'il n'a pas fini écrasé et desséché sur une route meurtrière, victime de nos machines cruelles mais coule des jours paisibles à l'ombre d'une source sacrée de Bourgogne.
 
Clin d'oeil du hasard (?), j'ai enfin trouvé le petit fauteuil dont je rêvais depuis longtemps pour lire, broder, jouer de la harpe et que l'on nomme...
 
CRAPAUD !


samedi 1 août 2015

Il faut vieillir

Va-t'en parée, va-t'en douce, et ne t'arrête pas le long de la route irrésistible, tu l'essaierais en vain - puisqu'il faut vieillir !

Colette (Les vrilles de la vigne)


En descendant la rue pentue d'un village de Bourgogne, j'ai fait la rencontre incongrue d'un harmonium qui prenait le frais très tôt sur le perron d'une demeure abandonnée. Il était là sans doute depuis des années et ses couleurs commençaient joliment à s'estomper me rappelant que le temps qui passe peut être une douce fée qui magnifie le monde de sa baguette magique.

Je me suis alors souvenue que mon père fêtait ses quatre vingts ans dans quelques jours et tout en remontant le village, je pensais que ce vieil harmonium était un bien curieux pense-bête de toutes les touches blanches et noires qui avaient jalonnées sa vie de musique...

 Celles du piano du petit séminaire de Walbourg qui lui avaient donné l'audace d'échapper à la voie que ses parents avaient tracée pour lui. 
Celles des orgues grandioses qu'il jouait parfois pendant la messe, si près du ciel. J'avais l'autorisation de l'accompagner sur la tribune à condition d'être sage. Réfugiée dans quelque recoin sombre, j'essayais de résister au son qui s'échappait des tuyaux et me coupait le souffle. J'aimais regarder ses pieds danser en rythme sur les grosses pédales en bois, étranges et subtiles percutions... 

Et puis tant et tant d'autres claviers, encore ! Celui un peu usé de notre Gaveau qui ne sonne plus très juste, mais qu'importe. Celui du synthétiseur électrique qui faisait des syncopes à notre mariage provençal, perturbé par un orage.
Sans oublier les claviers imaginaires sur lesquels d'un pianotement discret, mon père inventait des mélodies pour faire chanter les enfants d'Alsace.



Rien n'est plus beau qu'une main qui se souvient des musiques d'autrefois et en chantonne de nouvelles, du bout des doigts, dans un doux murmure silencieux...



Heureux anniversaire, mon cher papa !