CHAPITRE VI
Ma vie continuait à s’égrainer au rythme de ma boutique. Paradoxalement, tenir une mercerie n’offrait pas assez de temps dans la journée pour tirer l’aiguille. Je connaissais la frustration de vivre au milieu des fils et des toiles sans pouvoir vraiment me consacrer à l’ouvrage en cours posé sur mon bureau. Une aiguillée par ci, une aiguillée par là, c’était tout ce que j’arrivais à faire, et avec bien des erreurs.
Heureusement, je me rattrapais le soir. A peine la mercerie fermée, je montais prendre ma douche, me préparais un petit repas et m’installais dans mon fauteuil préféré. Je sortais peu le soir, si ce n’est pour aller à mon cours de yoga. Je refusais les invitations avec politesse. Je voyais du monde toute la journée au magasin et j’avais besoin de calme pour me reposer. Je brodais parfois jusqu’à 23h en écoutant de la musique puis j’allais me coucher avec un bon bouquin. Une vie de nonne !
Un homme cependant avait fait irruption dans mon monde. Un inconnu que je n’avais pas invité. Sa présence commençait presque à m’inquiéter. Tous les soirs, peu après 18h, il se postait devant la même vitrine et observait immobile ma collection de marquoirs anciens. Pour être plus précise, il fixait un marquoir en particulier, celui d’ Ariane Buisset. Je sentais sa présence hiératique derrière la vitre et les minutes qu’il passait là me semblaient interminables. Il s’en allait sans même me jeter un regard. J’avais quand même peur d’avoir affaire à un détraqué et j’étais bien contente de pouvoir monter directement dans mes appartements après la fermeture.
Dans la journée, il m’arrivait de décrocher le marquoir d’Ariane pour essayer d’en percer le mystère. L’ouvrage qui avait été brodé au couvent du Saint-Sacrement à Nîmes en 1878, était le plus coloré de mes marquoirs. Ce n’était pas un simple abécédaire rouge sur canevas ; il avait eu l’honneur de la soie. Il présentait un autel un peu néo-classique, des symboles chrétiens, deux alphabets majuscules, une série de chiffres, le tout entouré d’une frise fleurie. Je n’aurais peut-être pas du l’exposer à la lumière du soleil, lui si fragile et délicat. Il était maintenant trop tard. Je n’allais pas risquer de faire rentrer l’inconnu dans ma mercerie en enlevant le marquoir de la vitrine. Quoique…
J’avais prévenu Dominique et elle m’avait rassurée.
- Il y a sans doute une explication rationnelle derrière tout ça, Béa ! Mais tu as raison d’être prudente, on ne sait jamais.
A 18h, je sortais dans la rue faisant semblant de nettoyer ma porte. Je préférais que l’inconnu m’aborde dehors plutôt que dans ma boutique car il y avait beaucoup de monde à cette heure-ci qui passait à la boulangerie d’à côté. Si je criais, on m’entendrait facilement tandis que dans ma mercerie…
A 18h 10, il tournait le coin de la rue et se dirigeait vers ma vitrine.
4 commentaires:
Bonsoir Hélène,
Quelques lignes pour vous encourager dans votre démarche d'écriture.C'est un courageux passage à l'acte réussi.Vous avez une jolie plume qui reflète une belle âme. Je me régalais déjà avec vos articles parus sur votre blog, très différents de ceux (stéréotypés) que l'on trouve malheureusement sur bon nombre de blogs de broderie (Y en a qui disent qu'ils vont mais qui font rien en fin de compte sinon de l'épate...)Donc Merci pour nous offrir quelque chose de différent, quelque chose de rare: la qualité et l'authenticité.
3 jours que je n'étais pas venue lire...3 chapitres d'un coup! j'ai vraiment eu l'impression d'être plongée dans un bon roman! à demain!
Merci beaucoup à la maman de Léa... J'espère rester toujours digne de votre admiration.
Aaaaaaaaaaaaah ! C'est cruel ! Je veux savoir la suite....
Et en plus, comble de malchance, on est samedi : je n'aurais pas le temps de revenir ici avant mardi matin...
Merci pour tout ce que tu es...
Il y aura très prochainement une missive dans ta boîte...
La croisée ;-)
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