mercredi 31 décembre 2008

Fil en poussière (mise à jour)

Edit du 7 janvier : vous êtes environ 130 inscrites. Merci beaucoup pour votre participation enthousiaste. Une brodeuse talentueuse nous a fait la gentillesse de créer une grille spéciale Fil en poussière : il s'agit de Catwooman
Merci beaucoup ! J'aime la spontanéité de cette démarche.





Certaines d'entre vous connaissent peut-être Pierre Rabhi... J'ai lu certains de ses livres et j'aime sa vision du monde. La manière dont il fait revivre la terre juste avec une infime goutte d'eau est miraculeuse et ses expériences sur le compost, fantastiques.
Est-ce pour cela que je suis sensible au recyclage ? Peut-être. En tout cas, lorsque je termine une broderie, je suis toujours impressionnée par la quantité de bouts de fil perdus qui traînent dans le petit vide-poche qui me sert à les recueillir. Et c'est à regret que je les jette à la poubelle. Souvent le mélange qu'ils forment rappelle l'harmonie chromatique de la broderie. D'autres fois non... C'est assez étrange. Je sais que certaines d'entre vous les gardent pour rembourrer des coussinets. Il m'est arrivé d'en secouer dans mon jardin dans l'espoir qu'un oiseau les récupère pour en tapisser son nid. La plupart du temps, il en traîne un peu partout et cela m'agace.

Je connaissais l'installation d'une artiste, Marie Claude Quignon, qui avait demandé à des femmes exilées de placer dans des bocaux Le Parfait, des choses précieuses à leur coeur. C'était souvent des choses bien ordinaires.

Alors, j'ai eu envie de faire une expérience. Et de vous y associer. Durant un an (jour pour jour), au lieu de jeter les chutes de fils de nos aiguillées, pourquoi ne pas les mettre dans un joli récipient transparent ? Petit à petit, il va se remplir. Cela formera comme des strates. Une sorte de mémoire effilochée de nos ouvrages d'une année.

Voici donc le SAL pas comme les autres que je vous propose cette année...
Facile à faire et qui vous permet de broder tout ce que vous voulez :
* Date de début de la collecte : le 11 janvier 2009 , première nuit de la pleine lune de l'année 2009.
* A partir de cette date, ne jeter plus vos bouts de fils mais conserver les dans un récipient transparent (pot à confiture, verre, bocal, tube à essai, vase, vérine, que sais-je encore...). Vous pouvez les mélanger ou les trier par couleur.
* A chaque nouvelle lune, je vous demanderai de montrer l'état de votre collecte sur votre blog.
* Au bout d'un an, nous serons peut-être impressionnées par cette expérience de ramassage de vieux fils. Que deviendront tous nos petits bouts de fil ainsi récoltés ? Peut-être rien. tout cas, nous avons une année pour y réfléchir ensemble.
Alors qui est partante pour participer à cette aventure collective, modeste et humble ? Inscription sur mon blog jusqu'au 10 janvier 2009. La seule obligation étant de bien commencer notre collecte, le 11 janvier.

mardi 30 décembre 2008

En 2008...


Rétrospective de l'année

Quelques marquoirs dont celui de Justine qui devrait être terminé en 2009, du rouge, des petits cadeaux et beaucoup de temps passé avec le Salalexandre (dont je n'ai pas le courage de terminer les accessoires, je l'avoue).
Que le temps passe vite (trop vite) à broder !
Rendez-vous dès demain pour un projet 2009 qui, je l'espère, vous surprendra...

Très bonne année 2009 à tous.
Gardons surtout la forme pour continuer à avancer.

vendredi 26 décembre 2008

Ad libitum, ou le journal d'une artiste


Les mots brodés

#3

2006



5 juin
Convalescence… J’ai toujours eu des difficultés à orthographier ce mot. D’ailleurs, j’évite de l’écrire lorsque j’envoie un petit mot de réconfort à un proche malade. Aujourd’hui, c’est moi qui suis en convalescence et j’ignore le temps qu’il me faudra rester dans cette clinique de rééducation.
J’ai perdu la notion du temps et des choses. Combien de mois suis-je restée dans le coma après avoir été renversée par un chauffard ivre le soir de notre dernier concert à Florence ? Je revois le groupe de musiciens sur les marches du théâtre. J’entends encore leur rire alors que je me dirige un peu pressée vers notre hôtel. Envie de prendre une bonne douche, d’enfiler un jean avant de les retrouver pour manger un morceau. Puis soudain, une voiture folle qui surgit dans la nuit. Lumière aveuglante, bruits stridents de dérapage, frayeur, douleur… et puis le noir.

6 juin
Hier, Edouard m’a offert ce magnifique carnet en moleskine. Il sait pourtant que je n’ai jamais été très attirée par les journaux intimes et que depuis que nous nous aimons, je ne lui ai jamais griffonné que de petits mots. Il s’imagine qu’une musicienne a forcément une âme sensible et des émotions à exprimer. Effectivement. Cachée derrière ma harpe en laissant mes doigts courir sur les cordes, mais pas sur une feuille de papier.
Et pourtant, j’ai décidé de tenter cette expérience. Pourquoi ne pas faire plaisir à l’homme de ma vie en essayant de formuler mes pensées et de faire travailler mes mains ? Incapable de tenir un stylo lors des premières séances de rééducation, j’arrive désormais à tracer des lettres un peu moins tremblotantes. Je mets toujours beaucoup de temps à trouver mes mots, à les écrire mais cela occupe mes longues journées.

13 juin
J’essaie de ne pas y penser, de me dire que j’ai de la chance d’être encore en vie, ni invalide ni défigurée mais malgré moi, je n’arrive pas à faire taire cette angoisse : pourrais-je un jour reprendre mon métier de harpiste au sein d’un orchestre philharmonique et mes récitals de musique ? Les médecins refusent pour le moment de se prononcer et m’interdisent de jouer de la harpe. C’est trop tôt d’après eux. Je serais forcément incapable de me déplacer avec précision sur les cordes et risque de créer un choc psychologique, peut-être même un blocage irréversible. Je dois être patiente, dompter les tremblements, réapprendre les gestes simples du quotidien : tenir une fourchette, me brosser les dents, tracer un trait… Ensuite, on verra. Alors, en cachette, j’exerce mes doigts à garder leur souplesse. Je les place en crochet sur la table. Je fais des gammes imaginaires. Et surtout, je continue à couper mes ongles bien courts.

20 juin
Isabelle est venue me voir. Nous partageons le même pupitre à l’orchestre. Elle en bave avec ma remplaçante. Jamais en rythme. Passant sa vie à vérifier si sa harpe est bien dans le ton. Cela nous a rappelé notre regretté Norbert, un chef d’orchestre qui aimait nous taquiner en disant : « les harpistes passent la moitié de leur temps à s’accorder et l’autre moitié à jouer faux ». J’ai été très touchée d’apprendre qu’Isabelle venait accorder mes instruments une fois par semaine. Un peu comme on arroserait les plantes d’une personne amie partie en vacances.

23 juin
Franchement, mon kiné ne manque pas d’imagination. Finies les pages d’écriture comme au cours préparatoire, les lignes de a, les frises en forme d’escargot en ordre croissant ! Nous passons désormais à la couture. Première épreuve : enfiler le fil dans le chas de l’aiguille. Auparavant déjà, je n’étais guère douée, alors maintenant…Quand je pense qu’ensuite, il faudra que je m’exerce à coudre bien droit.
J’ai toujours détesté les travaux manuels. Ma mère était une intellectuelle incapable de recoudre un bouton et je n’ai pas connu mes grand-mères. Personne ne m’a appris à faire des pompons ou du tricotin. J’avais une amie qui tricotait pendant les répétitions d’orchestre et je trouvais ça franchement presque indécent. Je plaçais la musique au-dessus de tout. Tout le reste me paraissait fade.

25 juin
Dès mes premières années de conservatoire, la musique m’a apporté une forme de discipline. Elle a structuré mes journées : exercices le matin, déchiffrage et travail de partition l’après-midi, répétition d’orchestre le soir. Très peu de temps et d’intérêt pour d’autres loisirs. J’ai peur de ne pas savoir m’occuper en dehors de la musique. Ici, les journées sont cadencées par les repas, les séances de rééducation mais après ? Quand je serai de retour chez moi dans quelques jours ?

4 juillet
Je sors demain. Le dernier scanner est très satisfaisant et les tests neurologiques prometteurs. Je n’ai pourtant pas l’impression d’avoir progressé dans cette clinique. Le moindre geste précis s’accompagne toujours de tremblements. J’ai l’impression que mon cas ne les intéresse plus, ou qu’ils ont simplement besoin de la chambre pour quelqu’un d’autre. Me voilà donc avec une ordonnance de médicaments et quelques consignes écrites, histoire de ne pas me laisser partir sans rien. Etre surprotégée dans cet univers médical me réconfortait, je dois bien l’avouer. J’appréhende de retrouver ma maison, mon univers familier et inchangé alors que je suis une autre personne. Et si mes tremblements n’étaient simplement qu’une immense peur de vivre, un peu comme ce trac qui me prenait les jours d’examen et que je calmais tant bien que mal à petites doses de gelsemium ? Tiens, il faudra peut-être que je reprenne rendez-vous chez un homéopathe.

6 juillet
A la clinique, les médecins prenaient d’infinies précautions et m’avaient interdit de reprendre la musique avant d’avoir stabilisé mes mouvements. Maintenant que je suis seule chez moi, plus personne n’est là pour me surveiller ou me dire ce que j’ai à faire. Le contraste est saisissant. Je me demande bien à quoi rimaient tant de précautions !
Alors, je me suis installée dans mon atelier et j’ai choisi ma harpe préférée, la grande Salvi qui m’a coûté une fortune. Et dès les premières notes, j’ai retrouvé le plaisir et l’émotion d’interpréter Fauré, Debussy… Mes doigts qui avaient oubliés le frottement quotidien avec des cordes, devinrent vite rouges et douloureux. J’avais oublié la sensation des cloques et des ampoules au bout des doigts, les durillons…
Je suis à nouveau comme une novice hésitante dont les doigts papillonnent un peu avant de trouver le bon accord. A moins que je ne sois déjà comme une vieille artiste dont la carrière est terminée.

15 juillet
Malgré mes arpèges et gammes quotidiennes, mes révisions de partition, je me vois mal intégrer un orchestre dans les mois prochains. Edouard trouve que je n’ai rien perdu de ma musicalité et m’encourage à poursuivre mes efforts. Mais je vois bien qu’il est inquiet quand tout d’un coup la machine s’enraye et qu’une crise de tremblements m’empêche de terminer une mesure. Alors, il me prend dans ses bras et nous pleurons en silence.

16 juillet
Je suis contente d’avoir ma maison et Edouard son appartement. Sinon, je crois que nous nous serions déjà séparés, même avant l’accident. Lui a besoin de calme pour son travail de traducteur, et je ne peux pas malheureusement pas m’exercer en sourdine. C’est d’ailleurs pour cela, que j’habite une petite maison, sorte d’atelier d’artiste un peu délabré mais où je suis certaine de ne déranger personne. Mes seuls voisins directs sont des chats errants.

20 juillet
Rendez-vous avec Isabelle dans un café, rue des Orfèvres. Elle a la finesse de ne pas trop me parler de l’orchestre si ce n’est pour me dire que ma remplaçante a été remplacée ! Il parait qu’elle séduisait un musicien après l’autre, faisant naître une certaine tension chez les messieurs, d’ailleurs perceptible lors d’un concert à Stuttgart. Le chef lui a simplement demandé de faire ses bagages. Quand je pense que moi, les violonistes m’avaient surnommé la nonne ! Au moins, je n’ai jamais perturbé personne… si ce n’est Thomas, un flûtiste qui a préféré changer d’orchestre lorsque je l’ai quitté. Une perte pour le philharmonique mais une délivrance pour moi.
Isabelle a bien rigolé quand je lui ai montré mes exercices de couture. Selon les conseils du kiné de la clinique, je continue à faire quelques points sur un vieux torchon de cuisine avec du simple fil à coudre. Ce n’est ni de la broderie, ni de la couture. Le but est juste de souligner les motifs à carreaux du tissu. Je reconnais que c’est très moche et guère motivant et mon torchon finit par ressembler à un vieux doudou rapiécé ou à une œuvre d’art contemporaine. A une époque, Isabelle et moi, nous fréquentions les galeries dans les villes où nous jouions le soir. Nous achetions parfois des petits tableaux mais la plupart du temps nous ressortions avec un incontrôlable fou-rire. Demain, elle m’entraîne dans une mercerie. Je croyais que ce genre de boutiques n’existait plus.

21 juillet
Cela ressemble à un magasin de musique. Dans de grands bacs, des fiches de modèles à broder sont rangées comme des partitions. Ici, les créateurs ne s’appellent ni Ravel ni Mozart mais The Drawn Thread, Le Passé Composé… Placées sur une grille quadrillée, les symboles en noir et blanc me font penser à des notes sur une portée. Tout cela m’enchante, bien plus que je ne l’aurais pensé. Je farfouille à droite, à gauche, passe en revue fébrilement les fiches cartonnées ou les livrets. Comme j’aimerais pouvoir broder ce magnifique abécédaire (il parait qu’il faut dire marquoir) mais Isabelle me suggère de commencer par un modèle monochrome plus simple. Je choisis finalement la reproduction d’un petit rouge brodé en 1904 par une certaine Joséphine. La composition est délicieusement maladroite et c’était le prénom de ma grand-mère maternelle. La dame de la boutique me conseille un lin 12 fils et un tambour de taille moyenne (voilà que je me mets aux percussions !). Reste à trouver sur le présentoir à fils, la référence 498. Habituée à rechercher des numéros de cordes de harpe, je me retiens pour ne pas demander un Do 13 ou un Mi 32 à la mercière.

2 août
J’ai presque fini ma première broderie et j’ai fait d’énormes progrès dans la coordination de mes mouvements. Je trouve plus facile de broder avec un tambour, une main en dessous et une main au-dessus. Lorsque je tremble trop, je fais une petite pause et puis je reprends. Comme c’est motivant de voir progresser son ouvrage, de créer quelque chose de beau avec ses dix doigts ! En musique, on n’offre aux autres et à soi-même qu’un plaisir éphémère. Lorsque je passe trois heures derrière ma harpe, il n’y a rien de concret au final : toutes les notes jouées se sont envolées. C’est terriblement ingrat.

4 août
Ce matin je me suis levée apaisée. Après des mois de lutte à essayer de reprendre ma vie d’avant, j’ai compris qu’il ne serait plus jamais possible de jouer en public. Un simple constat sans aucune tristesse. Bizarrement.
Quel orchestre voudrait encore d’une harpiste qui n’est pas à l’abri d’une défaillance ? Quel festival irait programmer le récital d’une musicienne plus assez sûre d’elle ?

31 août
Durant trois semaines, j’ai enfermé ma harpe de concert dans sa valise de transport. Comme dans un cercueil. Et je suis partie me ressourcer chez ma soeur, en Bourgogne. Lorsque je suis rentrée, j’ai eu envie de reprendre ma vieille harpe celtique et de me remettre à la musique médiévale. Besoin de simplicité, de méditation. Je ne sais pas encore ce que je vais faire de ma nouvelle vie, mais je n’ai plus peur du changement. J’ai des tas d’idées (peut-être même trop !) mais Edouard est là pour me canaliser. Quoi qu’il arrive, je sais que je peux compter sur lui. Et sur moi.

30 septembre
Cela fait un mois que je n’ai rien écrit sur ces pages. Je pensais que l’écriture n’avait été qu’une étape de ma rééducation mais en rangeant des factures, je suis tombée sur ce journal. Sa relecture m’a semblé moins douloureuse que je ne le craignais et j’ai eu envie de raconter la suite.
La semaine dernière, j’ai donné mes premiers cours au conservatoire. Le directeur, touché par mon destin, a soutenu ma candidature au poste d’enseignante des premières et deuxièmes années. Il faut dire qu’il m’a connu toute petite, masquée par la rangée de cordes d’une harpe d’étude comme mes élèves d’aujourd’hui. Serait-ce un instrument de timide ? Pas vraiment à voir les petits diables qui défilent dans ma salle de cours à intervalles réguliers. La plupart ont entre huit et douze ans, des filles en majorité. Les garçons semblent plus volontaires. Sans doute parce qu’ils se sont battus pour convaincre leurs parents de pouvoir étudier un « instrument de fille ». Préjugé tenace et erroné, comme tous les préjugés : la harpe n’est pas plus un instrument de fille que le violon ou la flûte traversière. D’ailleurs il suffit d’écouter Alan Stivell pour en être persuadé.

2 décembre
J’ai découvert le plaisir d’enseigner. Les enfants semblent m’apprécier. Assise à côté d’eux, je rectifie une position, corrige un mauvais doigté, surveille le rythme. Et quand les notes sont bien en place, on peut se consacrer aux nuances. A cet âge-là, leur imagination est encore en éveil. Alors, il est très facile de leur suggérer des images à partir des mélodies jouées. Un ogre dans une forêt obscure qui tout d’un coup surgit… Des petits lutins malicieux... Souvent nous partons du titre, pour inventer toute une histoire. Je suis heureuse quand soudain, ils ne pensent plus de manière mécanique aux piano ou crescendo figurant sur la partition mais vivent vraiment la musique, se laissent aller à la joie enfantine de jouer. Alors parfois, j’ai l’impression d’être leur camarade de cour de récréation et non leur professeur. Evidemment, j’ai parfois du mal à faire régner une certaine discipline mais ils se sentent tellement en confiance avec moi. Pour rien au monde, je ne gâcherais cette complicité. Ma manière intuitive d’enseigner donne d’ailleurs d’excellents résultats.

15 décembre
Je crois que mes élèves m’aiment et même si je me trompe, cette illusion m’aide à vivre. Moi, je les aime tous, mais j’ai des préférences. Je suis assez sévère avec ceux qui me ressemblent (l’horreur du miroir sans doute) et curieuse de comprendre ceux qui ne réagissent pas comme moi. E puis j’apprends énormément avec les moins doués. Pourquoi n’y arrivent-ils pas ? Comment finalement, je joue un accord arpégé ? Ils m’obligent à rechercher en moi des explications, à décomposer les étapes, à trouver un chemin qui leur permettra d’y arriver. Et parfois, si je tremble encore, cela n’est pas bien grave. Loin d’être un professeur sur un piédestal qui fait toujours tout parfaitement, je suis vulnérable et rencontre des difficultés. Comme eux. Dans ces moments-là, leur sourire indulgent d’enfant est le meilleur des stimulants.
Ce n’est pas comme celui des adultes. Hier dans un café branché, entre deux cours, je n’arrivais pas à porter ma tasse jusqu’à mes lèvres sans en renverser la moitié. Tout le monde m’observait sans en avoir l’air. J’avais même l’impression que les jeunes filles de la table voisine, parlaient de moi en chuchotant. J’ai eu envie de me lever et de crier que je n’étais ni une ivrogne, ni une droguée en manque, mais à quoi bon... Désormais, je resterai dans ma salle de cours avec une thermos de thé et j’en profiterai pour me reposer, loin de l’agitation des endroits à la mode qui m’ont finalement toujours agacés. Edouard trouve qu’il ne faut pas que je me coupe du monde mais je vois bien que mes tremblements le dérangent lorsque nous sommes invités chez ses amis. Il s’empresse toujours de parler de l’accident et tout le monde semble ensuite un peu gêné devant l’infirme que je suis. Je préfère, à l’avenir, m’entourer de mes amis proches et éviter les restaurants, les magasins. Sauf ceux où je me sens en confiance.
Comme la petite mercerie de la rue des Plantes où Isabelle m’avait presque emmené de force la première fois. J’y vais au minimum une fois par semaine. Parfois pour trois fois rien, juste pour l’ambiance et le plaisir de fouiller dans des grands paniers en osier à la recherche d’une toile de lin, d’un tissu assorti. J’ai découvert le bonheur de toucher les yeux fermés, les fils à broder, les rubans. Le plaisir de la matière l’emporte toujours chez moi sur celui de la couleur. J’ai même parfois du mal à trouver la bonne harmonie chromatique et pour le moment, je préfère me contenter de suivre les instructions figurant sur les diagrammes.
Je n’aurais jamais imaginé prendre goût au point de croix mais il faut bien reconnaître que depuis mon premier essai de marquoir monochrome, je suis presque devenue boulimique de broderie. Au point de délaisser un peu mes harpes quand je suis chez moi (si ne n’est pour préparer mes cours, trouver des morceaux ou des exercices pour mes élèves).
 
 2007


3 janvier
Une nouvelle année commence… J’ai parfois l’impression que c’était « avant » que j’étais infirme et handicapée. Je me revois enfant, enfermée avec mes partitions au lieu de sortir sauter à la corde avec mes copines. Puis à l’adolescence, plus solitaire que jamais. Comme j’aimais cette vie de cloîtrée qui aujourd’hui, me fait surtout penser à une punition.

12 janvier
Libérée de la peur de me couper ou de me brûler, je découvre aussi le plaisir de cuisiner. Ce n’est pas encore fantastique étant donné mes lacunes en la matière mais Edouard semble apprécier ces repas bien différents des plats de cosmonaute réchauffés au micro-onde dans des barquettes en plastique.
Pour l’instant, je fréquente le marché bio de mon quartier mais il n’est pas impossible que je transforme une partie de mon jardin en potager. J’essaierai de faire pousser quelques herbes aromatiques au printemps.
Je ne voudrais pas devenir une caricature néo-hipie mais après tout, je préfère me réfugier dans un monde inventé qui me convient. Ma vie précédente de musicienne itinérante était loin d’être ordinaire mais ma nouvelle vie s’oriente vers encore plus de fantaisie. Comme si, maintenant, j’osais enfin être différente.
Le matin, je saute dans mes sabots que je ne quitte plus de la journée. Avec de gros collants en laine, cela tient bien assez chaud aux pieds, même en hiver. Je porte de préférence des jupons, des robes indiennes et des gros pulls irlandais. Un immense panier en osier me sert de sac. On y trouve des partitions, des fruits secs, des crayons à papier, une broderie en cours.

30 janvier
J’emporte toujours un ouvrage avec moi. Lorsqu’un élève est absent, je m’installe près de la fenêtre et je brode un peu. Deux, trois aiguillées, parfois plus. J’écoute les musiques en provenance des salles de cours voisines et j’oublie tout. Souvent l’élève suivant me surprend dans ma rêverie et en essayant de ranger mon bazar de brodeuse au plus vite, il n’est pas rare que je fasse tomber mes ciseaux. Comme si je me sentais coupable de ne pas avoir profité de cette demi-heure pour travailler ma harpe ou que j’étais un peu gênée de laisser traîner des bouts de fils dans ce temple de la musique…
Hier pourtant, j’ai décidé de laisser désormais mon ouvrage bien en évidence sur le rebord de la fenêtre. Et tant pis si cela dérange le directeur ou certains parents. Mathilde, une de mes élèves de 12 ans, était arrivée en avance et attendait dans le couloir…en brodant ! Elle m’a avoué que c’était moi qui lui avais donné envie de broder. Je me suis souvenu qu’à son âge aussi, mes professeurs étaient des modèles. Et que si j’écrivais toujours en vert, c’était à cause d’un certain Régis. Alors, oui, après tout, je veux bien que d’autres petites filles fassent un peu comme moi. Si cela leur permet d’échapper aux jeans slims, aux Nitendo DS et les aide à affirmer leur propre personnalité. Mais gare au clonage ! Je n’ai pas envie d’avoir dans mon cours, une multitude d’Aude en miniature.

3 février
Petite dispute ce matin, au réveil. Edouard sait pourtant qu’il ne faut rien me demander avant ma douche et mes deux tasses de thé avalées en solitaire sous ma véranda. Il n’accepte pas que j’aie changé ! Il me reprocherait presque d’essayer de m’en sortir autrement, d’adapter ma vie en fonction de mon handicap. Il trouve que je ne me bats pas assez et que si j’avais un peu plus de volonté, je pourrais reprendre ma carrière professionnelle. Il trouve d’ailleurs bizarre que je ne tremble pas lorsque je brode…Pour un peu, il me le reprocherait !
Je suis triste. Je commençais à aimer ma métamorphose, à me sentir bien et lui n’a rien compris. Pire, il n’aime pas cette nouvelle Aude. Qui aimait-il avant ? Etait-ce vraiment moi ou seulement mon image de brillante musicienne ? Je me sens seule soudain, très seule.

5 février
Evidemment, tout s’est à nouveau arrangé entre nous mais le doute s’est installé en moi. Notre amour résistera–t-il aux changements ? Que se passera t-il si nous n’évoluons plus de la même manière ? Autour de moi, les femmes se retrouvent seules après quelques années de vie en couple. Passés les premiers moments de déprime, elles ne pensent qu’à retrouver leurs vingt ans. Et je me retrouve alors bien loin de leur nouvelle vie. Elles sortent le soir, surfent sur internet pour retrouver un nouveau compagnon, font du régime, du sport… Je ne veux pas en arriver là. J’ai envie de vieillir à côté du même homme et assumer mes rides, mes transformations. Je n’ai pas envie de tricher. Même si je n’ai pas le droit non plus, de me laisser aller. Difficile de trouver le juste milieu. Difficile de prévoir ce qui nous sera fatal.

19 février
Edouard a besoin de me trouver parfaite pour m’aimer. Et la prof un peu ordinaire que je suis devenue ne lui renvoie pas une image idéale de ma personne. Depuis notre dispute, j’ai beaucoup réfléchi. Pourquoi ai-je perdu tout ce temps à m’occuper de mes élèves au lieu de me lancer dans les projets que j’avais imaginé lors de ma retraite en Bourgogne ? Manque de confiance, d’ambition ou tout simplement d’énergie. Il est temps peut-être de passer à autre chose et de surprendre l’homme que j’aime. Il est temps de redevenir celle qu’il admire.

28 février
Je me suis lancée dans une drôle d’aventure… Je préfère par superstition ne rien dévoiler ici et puis inutile de gâcher des pages à parler d’argent, d’emprunts, de travaux. Rendez-vous dans quelques mois, mon cher journal (j’adore employer ce genre de formules puériles !)

2 juillet
Loin de mes élèves et de mes projets qui prennent forme, je profite du repos de ce temps de vacances. Je me suis installée un petit coin dans le jardin, à l’ombre. A droite, ma petite harpe Smith, ramenée de Londres il y a plus de vingt ans. A gauche, ma chaise longue en osier encombrée de livres, toiles de lin et fils. Et au milieu, mon immense table de jardin au désordre organisé : tasse de thé vert rafraîchissant, papier musique, carnets…Tout mon univers dans cet espace clos, qui au Moyen Age était la métaphore du Paradis. Pourquoi chercher ailleurs le bonheur ? Je suis si bien chez moi, à voyager dans le temps plutôt qu’à travers le monde.

20 juillet
J’ai retrouvé les notes que Régis, mon ancien professeur avait prises dans des bibliothèques irlandaises, bien avant sa mort. C’était du temps de sa jeunesse. Il était parti à la recherche de mélodies oubliées pour les retranscrire. Certaines sont restées là, griffonnées dans des carnets de musique, à peine lisibles. Elles ne demanderaient pourtant qu’à revivre. Avec beaucoup de patience, j’arriverais peut-être à en faire quelque chose. Dans un premier temps, le plus urgent est de remettre au propre ces notes de terrain avant qu’elles ne s’effacent.

29 juillet
Plus jeune, j’ai composé quelques petits morceaux qui avec le recul, ne me semblent pas trop mal. Un peu copiés toutefois sur ce que je jouais à l’époque. J’ai très envie de me remettre à l’écriture. Mais il ne suffit pas de dire : « je vais inventer des musiques ». L’inspiration est une capricieuse.

1er août
Heureuse ! Je suis arrivée à composer une suite avec variations que je joue avec énormément de plaisir et qui plait à Edouard. Il en avait les larmes aux yeux en m’écoutant. Je suis redevenue sa Musicienne, celle qu’il aime. Pas étonnant ! Décidée à reconquérir l’homme de ma vie, j’ai choisi chaque note avec la précision d’une sorcière qui préparerait un philtre d’amour : accompagnement d’accords très moyenâgeux, thème irlandais trouvé dans un des carnets de Régis, envolées lyriques à ma manière.

20 août
Sur ma lancée, j’ai composé une grande partie de l’été des mélodies d’inspiration médiévale bien plus qu’irlandaise. Le lourd héritage laissé par Régis me freinait finalement. Je trouve plus facilement l’inspiration en ne partant de rien. Spontanément des mélodies naissent sous mes doigts et ressemblent à des enluminures ornées, des ivoires raffinés ou au contraire des toiles épaisses sentant l’épeautre. Le Moyen-Age vit en moi. Edouard pense que j’ai sans doute été troubadour dans une vie antérieure !

22 août
Je prends plaisir à lire Ruteboeuf, les romans d’amour courtois. Même la broderie est devenue médiévale chez moi. J’ai crée quelques grilles personnelles car je ne trouvais pas vraiment de modèles de ce style. Et j’avais envie d’aller jusqu’au bout de mon rêve néo-gothique. La mercière de la rue des Plantes trouve cela magnifique. Elle connaît une maison qui pourrait éditer mes grilles. Ce n’est pas vraiment mon ambition mais peut-être que je ne dois pas considérer cette activité comme quelque chose d’annexe et y réfléchir.

1er septembre
Gare au surmenage ! Je n’ai plus une minute à moi mais pour l’instant, je tiens le coup. Juste un peu de mal à m’endormir le soir. Je pense à tant de choses en même temps… Vais-je trouver un cuisinier pour mes banquets médiévaux ? Y aura-t-il des amateurs à mon premier stage durant les vacances de Pâques ? Pourrais-je continuer à enseigner au conservatoire tout en m’occupant du Jardin Médiéval ?
J’ai peut-être été trop ambitieuse mais les choses se sont enchaînées comme par miracle depuis le mois de février. Etienne, mon ami d’enfance voulait justement vendre les dépendances de sa grande ferme, idéalement situées entre mon village et la capitale régionale. Peu de travaux à faire et une vue magnifique sur son logis dont certains éléments datent encore du 15e siècle. Alors avec le soutien de ma banque, je me suis lancée dans les transformations. L’ancienne grange abrite désormais une magnifique salle de concert à l’acoustique irréprochable (sans l’intervention de mon frère ingénieur du son, c’était loin d’être gagné). Dans les étables et écuries, quelques petits espaces facilement modulables peuvent se transformer en salles de séminaires ou de stages, lieux d’exposition ou de banquet… Ad libitum.
La décoration, plus William Morris que Viollet le Duc, devrait plaire autant aux médiévistes qu’aux enfants ayant grandi avec Harry Potter. Elle vient tout juste d’être terminée et notre premier concert a lieu dans une semaine !

10 septembre
Je dois batailler dur avec les uns et les autres. Edouard voudrait installer un coin librairie, Etienne créer un véritable restaurant. Ils ont peut-être raison mais moi, je ne veux pas que le Jardin Médiéval devienne autre chose qu’un lieu de rencontres, d’échanges, de formation. Même les soirées banquets me laissaient un peu sceptique. Je reconnais tout de même que l’alchimie entre les chants des troubadours, les cris des jongleurs, l’odeur de la viande épicée grillée au feu de bois m’a fait changer d’avis. Mais je n’irai pas jusqu’à installer une boutique de produits pseudos-médiévaux comme on en trouve dans la plupart des sites touristiques. Chez moi, il n’y aura jamais d’épée de chevalier clignotante à bruit de rayon laser. Je refuse qu’un Moyen Age made in China vienne parasiter mon rêve !

31 décembre
Voilà déjà la fin de cette année riche en changements. Je n’ai plus tellement le temps d’écrire depuis que je m’occupe du Jardin Médiéval. C’est terriblement fatigant et parfois décevant (trente personnes seulement à notre concert de Noël). Seuls les banquets médiévaux attirent vraiment du monde le week-end et nous commençons même à refuser des gens. Etienne avait peut-être raison : j’aurais dû ouvrir un restaurant !

2008

30 mars
Le temps file à une vitesse… Je n’ai pas vu passer l’hiver entre les cours, les conférences, les concerts et les rhumes à répétition.
Ce soir nous fêtons mon anniversaire loin du Jardin Médiéval. Juste Edouard et moi dans notre petit jardin à nous. Enfin, s’il ne fait pas trop froid.

2 avril
Pour mon premier stage de musique organisé au Jardin Médiéval, j’ai choisi le thème du livre Vermeil de Montserrat. Rien de bien ambitieux cependant mais les mélodies de ce manuscrit espagnol du XIVe siècle me semblaient parfaites pour donner à des débutants l’envie de jouer ensemble.
Ce n’est pas franchement un échec mais je m’attendais à plus d’inscriptions. Beaucoup de mes élèves étaient présents. Heureusement ! Cela me permet de démarrer en douceur avec des enfants que je connais déjà. Je suis dans un tel état de tension nerveuse, je ne sais pas comment j’arriverais à garder mon calme face aux critiques de stagiaires inconnus.
Je suis pourtant la première à constater que beaucoup de choses sont loin d’être parfaites. Mon inaptitude à gérer les problèmes pratiques m’agace au plus haut point. Je n’avais même pas pensé au déjeuner, habituée depuis des années à grignoter le midi ! Le directeur de la cantine du centre de loisirs du village nous a gentiment dépanné avec quelques plateaux-repas. La situation géographique du Jardin Médiéval, à 20 kilomètres de la capitale régionale, s’avère être un handicap. Les parents se relaient pour déposer et rechercher les enfants, mais c’est une organisation difficile. Il faudrait pouvoir héberger sur place les stagiaires. Là encore, je n’avais pas pensé à cela. Et je n’ai pas les moyens d’investir dans d’autres travaux de transformation. Etienne a repéré un hôtel à côté de l’église qui pourrait nous faire des prix à l’avenir. Je ne sais pas ce que je ferais sans cet ami fidèle.

17 avril
Au milieu des doutes, des incertitudes, la récompense. Merveille du livre Vermeil ! Le concert de clôture du stage a été un moment inoubliable. Que de monde venu applaudir mes petits élèves soudain transformés par la musique en d’humbles pèlerins d’un autre temps... Les monodies jouées en canon ont envahi tout l’espace sonore de la grange. C’était éblouissant de simplicité et de dépouillement. Portée par l’émotion, j’ai joué quelques compositions personnelles tout à la fin du concert. Sans tremblements. Ou alors, je ne les ai pas remarqué. J’aimerais que ces moments d’apaisement éphémères ne s’arrêtent jamais.

25 avril
Je prépare la saison prochaine avec ardeur (et beaucoup de retard). Plus de stages assurés par moi mais des formations pour des musiciens confirmés qui souhaiteraient approfondir leur apprentissage de la musique médiévale. Mina Polanski s’est montrée ravie par l’idée et animera trois stages de harpe durant l’année. Elle donnera peut-être également un concert avec sa troupe de musiciens. Grâce à elle, j’ai trouvé un spécialiste de la musique du Moyen Age prêt à venir enseigner régulièrement le luth, le psaltérion, la vièle ou tout autre instrument malheureusement oubliés. Apprendre la musique dans un jardin plutôt que dans un conservatoire, choisir la cithare plutôt que le piano, retrouver un héritage perdu : voilà ce que j’ai envie d’offrir aux enfants du XXIe siècle.

30 avril
Une de mes élèves s’est mise à pleurer lorsque j’ai annoncé mon départ du conservatoire, l’année prochaine. Elle n’avait pourtant jamais été très expansive et cela m’a vraiment touché. Si l’enseignement me fatiguait moins, je continuerais sans doute à donner des cours au Jardin Médiéval. Rien que pour le bonheur de voir germer dans d’autres êtres, les graines de mon savoir. Mais mes tremblements un peu plus fréquents ces derniers temps me disent de penser à moi, avant tout. D’ailleurs d’autres signes ne trompent pas : mes harpes personnelles sont toutes désaccordées et mes broderies chiffonnées dans le panier à ouvrage n’ont pas vu une aiguille depuis longtemps. Et puis surtout, je n’ai plus le temps de rêver depuis que mon rêve médiéval est devenu réalité. Les problèmes concrets me minent. Je ne suis pas vraiment faite pour les responsabilités et l’inexpérimentée que je suis, perd beaucoup trop de temps et d’énergie.

2 mai
Edouard a bien compris que cela n’allait plus vraiment et comme il se sent un peu responsable de m’avoir poussée dans un projet trop grand pour moi, il m’aide le plus souvent possible. En quelques clics de souris, il a créé notre site internet. Comme cela parait simple parfois, le monde virtuel !

5 mai
Nous n’avions plus le choix. Soit rester une petite bande de copains et aller droit dans le mur, soit confier la gestion de notre centre culturel à une véritable équipe capable de monter des projets porteurs. Les organisateurs du festival Musicaa étaient à la recherche d’une salle de concert à la campagne pour leur saison prochaine. Alors nous avons accepté de leur louer nos locaux. En revanche, nous restons maîtres de tous les projets de stages et formations.
S’entourer de professionnels qui connaissent parfaitement leur métier, cela change la vie ! Notre Jardin médiéval semble soudain moins broussailleux. Tant qu’il ne ressemble pas à un jardin à la française, je ne suis pas inquiète. Et puis, je garde l’œil.

20 septembre
Concert d’ouverture du festival Musicaa. Jamais je n’aurais pensé entendre résonner la messe Notre-Dame de Guillaume de Machaut dans ma modeste grange de campagne. Impression étrange d’avoir donné naissance à un enfant qui maintenant se débrouille mieux sans moi. Il s’est envolé vers le succès et j’ai maintenant l’esprit libéré. Je peux désormais me consacrer davantage à mes créations.
Les éditions Ledoux viennent de publier mon premier recueil de musique. A dose homéopathique, je cisèle un CD dans le studio d’enregistrement de mon frère. De la musique ancienne mêlée à des compositions personnelles. Nous faisons durer le plaisir, lui derrière ses consoles, moi derrière mes harpes. Comme un plongeon vivifiant au temps béni de notre enfance, avant que la vie ne nous oblige à faire semblant d’être des grands.

3 octobre
Grand retour de la broderie dans ma vie ! Depuis quelques années, Isabelle connaît pas mal de brodeuses grâce à internet. Entre deux tournées d’orchestre, elle se promène sur leur blog comme d’autres feuilletteraient un magasine. Moment de délassement mais aussi d’amitié.
Elle a parlé de moi à une certaine Tempus fugit qui a eu envie de présenter quelques unes de mes broderies médiévales, surtout celles avec des mots en latin (allez savoir pourquoi...). Est-ce le choix des lettrines, l’utilisation fréquente d’un fil d’or ? En tout cas, bien des brodeuses internautes ont apprécié ce style différent de broderie et voudraient se procurer mes modèles. Or, je n’ai jamais créé aucun diagramme de ma vie ! Je brode en allant, une lettre par ci, une fleur par là, presque sans réfléchir. Le papier quadrillé m’inspire moins que le papier à musique.

6 octobre
Les brodeuses sont tenaces et leur enthousiasme communicatif. Béatrice, une ancienne hôtesse d’agence de voyages reconvertie en mercière, était de passage dans la région. Nous nous sommes rencontrées par hasard à la boutique de la Rue des Plantes. Elle regardait admirative une miniature que j’avais offerte à la patronne de la boutique pour la remercier de sa gentillesse. Nous avons discuté un peu plus loin dans un salon de thé et elle s’est proposée de faire un essai de transcription de mes premières broderies.
Je lui ai envoyé hier une grande enveloppe remplie de trois toiles brodées et deux miniatures. Cela faisait une douce harmonie de couleurs. Tiens, je n’avais jamais remarqué la subtilité de ma palette.

29 octobre
Pas de nouvelles de Béatrice et puis ce matin, elle me téléphone, un peu désolée. Elle a eu quelques soucis de santé et ne pourra pas se charger du travail de mise en grille. Mine de rien, je suis quand même un peu déçue. Je vais finir par m’acheter un logiciel pour le faire moi-même. Cela ne doit pas être si compliqué que cela…L’essentiel est que Béatrice n’ait rien de grave. La broderie, c’est secondaire. Je vais lui offrir une petite pochette à fils pour lui remonter le moral.

2 novembre
Etonnante Sylvie ! Alors que je venais d’expliquer sur un forum bien connu des brodeuses que je cherchais un logiciel de point de croix pour mettre au propre des grilles de modèles, elle s’est tout de suite proposée de faire le travail à ma place. Il faut dire qu’elle a l’habitude des transcriptions. Sorte de moine copiste des temps modernes, elle reproduit d’anciens marquoirs chinés à droite à gauche, alors mes broderies en parfait état ne devraient pas lui poser de problème. En tout cas, j’ai l’impression d’être devenue une vedette depuis que Tempus fugit a parlé de moi sur son blog. Je crois que j’aurais dû faire appel aux brodeuses pour la promotion du Jardin Médiéval !

15 novembre
Je n’avais jamais connu un tel réseau de passionnées. Après Sylvie, Marie m’a contacté pour me proposer sa gamme de fils en soie. Elle les teint elle-même et c’est vrai que mes compositions médiévales gagneraient à être brodées avec des coloris comme les siens. Et le rendu de la soie, quelle splendeur ! Ce serait sans doute intéressant de m’associer avec elle pour proposer mes modèles sous forme de kits. Et de trouver également un fournisseur de toile de lin plus respectueux de l’environnement. Oui, je sais, encore mes obsessions écologistes ! Et encore mes projets utopistes.

17 novembre
J’aime appartenir à cette communauté de femmes qui sont aux petits soins avec moi. Douceur illusoire sans doute, mais qu’importe. Je sais aussi qu’il y a derrière leurs écrans des femmes prêtes à sortir leur aiguille, et pas seulement pour broder. Querelles entre blogueuses, entre clubs de point de croix, que sais-je ! Moi, je m’en moque. Même si j’appréhende la commercialisation de mes grilles.

4 décembre
Lancement de la collection Dans un jardin médiéval en février, à l’Aiguille en Fête. J’ai le trac comme avant un important concert.
C’est Béatrice qui finalement s’est chargé de l’édition des fiches cartonnées et de la conception des kits. Dans un papier de soie filigrané, plié à la manière d’un origami, on trouve la grille clairement légendée par Sylvie, les fils de soie de Marie, une fine toile de lin écrue et un petit poème médiéval imprimé sur une carte perforée pouvant servir de garde-fils. Tant pis pour celles qui se passeront illégalement des photocopies de mes modèles. Elles n’auront pas le plaisir de déballer doucement le papier de soie et de découvrir toutes ces petites attentions.

26 décembre
Mon carnet tout doucement se termine. Il reste encore quelques pages que je n’ai pas envie de remplir. Ai-je vraiment besoin de poursuivre l’écriture d’un journal comme une adolescente attardée ? Et si je créais un blog, moi aussi ? Pour l’instant, je ne veux rien décider. Edouard m’attend dans le salon et contemple ma dernière création avec un air ravi. Hier, il a reconnu que si j’étais une musicienne, j’étais avant tout une artiste. Avec un grand A, comme Aude.











mercredi 24 décembre 2008

Conte de Noël... pour petits et grands


Noël , noël : fête de la lumière au coeur de la nuit la plus longue de l'année.


Il y a quelques années, j'avais écrit cette histoire pour ma fille. Je l'offre aujourd'hui à tous ceux qui ont su garder une âme enfantine. Mon plus beau cadeau de Noël serait que certains parents (ou grands-parents) lisent ce conte aux petits enfants impatients d'ouvrir leurs paquets. Juste quelques minutes de complicité entre générations...



Le lampadaire


Comme des milliers d’écoliers, Diane et Théo sont deux petits enfants qui n’aiment guère se lever le matin pour aller à l’école. Même les bonnes tartines de maman et l’odeur du chocolat chaud n’arrivent pas à les tirer de leur lit douillet. Et c’est de mauvaise humeur, qu’ils partent de la maison, leur cartable sur le dos.


Comme des milliers d’écoliers, Diane et Théo trouvent toujours des excuses pour ne pas aller se coucher de bonne heure. Un coloriage à finir pour papa rentré tard, une récitation à revoir, un chapitre à terminer, un bisou à donner…


Un jour, dans leur rue, le vieux lampadaire était tombé en panne. Il s’était d’abord mis à éclairer en plein midi, puis à clignoter la nuit avant de s’éteindre définitivement.


Une certaine agitation régnait autour de l’équipe venue réparer l’éclairage public.


- J’espère que le lampadaire éclairera ce soir, car je n’aime pas que mon mari rentre du travail dans l’obscurité, disait une vieille dame inquiète.

- Mes enfants qui ont peur du noir, ont fait des cauchemars cette nuit, se plaignait une mère fatiguée.

- Les miens qui n’aiment déjà pas se coucher d’ordinaire, sont restés devant la fenêtre hier soir, sous prétexte qu’ils voulaient voir le lampadaire s’allumer, indiqua la maman de Diane et Théo. Impossible de les lever ce matin ! C’était pire que jamais.


Or parmi les électriciens de la ville, travaillait Monsieur Ernest. Il était un peu magicien et savait parler aux fées mais personne ne le savait. Les autres le trouvaient un peu étrange, mystérieux et silencieux.


- Cette rue est vraiment d’une tristesse, pensa-t-il, il faudrait faire quelque chose…


Une petite formule magique prononcée, une pincée de poudre d’étoiles déposée à l’intérieur du globe électrique et hop, Monsieur Ernest redescendit de son échelle en souriant.


Le soir tombait sur la rue des Ormes. Le lampadaire allait-il enfin s’allumer ? Sept heures sonnèrent au clocher de l’église lorsque, soudain, la lumière fut. Et quelle lumière ! Multicolore et dorée, éclatante comme un feu d’artifice, elle illumina la rue avant de s’adoucir en une tendre lueur orangée, apaisante. Une faible mélodie, qui ressemblait à celle du vent, charma le cœur des enfants à l’heure du coucher. Le marchand de sable endormait jadis les enfants en leur lançant de la poussière dans les yeux. Le lampadaire de Monsieur Ernest, lui, était bien plus délicat…

Calmés par cette douce musique, émerveillés par ces jeux de lumière, les enfants, y compris Diane et Théo, se blottirent sous leurs édredons et s’endormirent avec bonheur.


Une autre surprise les attendait le lendemain matin. A l’heure où Diane et Théo n’arrivaient pas à se lever d’habitude, ils furent chatouillés dans leur lit par un étrange arc en ciel qui provenait du lampadaire.


- Après la pluie, le beau temps… Après la nuit, le jour, semblaient leur dire les rayons de lumière.


Depuis ce temps, Diane et Théo ainsi que tous les enfants de la rue des Ormes, sont des écoliers heureux, toujours contents de se lever ou de se coucher.


Pourvu que le lampadaire magique ne tombe plus jamais en panne… N’ayez crainte, Monsieur Ernest y veille !


(c) Hélène, croix de lune, 2008

J'espère que mon histoire vous a plu. Elle serait mieux illustrée (avis aux amateurs).

Je vous souhaite de joyeuses fêtes...

dimanche 21 décembre 2008

Maison en terre picarde

Je vis dans une maison qui de 1978 à 2000 était celle du poète Ivar Ch'Vavar.


Un artiste que j'ai appris à connaître depuis. Avec sa femme Dominique, ils sont restés précieux à mon coeur.
Il y a deux ou trois ans, j'ai joué de la harpe celtique à une après-midi poétique qu'ils donnaient pour leurs amis. Un moment inoubliable. Mais c'est sans doute la dernière fois que je jouais en public tellement cela m'a impressionnée !

Ivar Ch'vavar écrit en langue picarde mais pas seulement. Je voulais lui rendre hommage et marquer symboliquement son passage dans notre maison.
Cela me plaisait de broder du picard car c'est une langue qui me rappelle le patois de ma grand-mère, du côté du Val de Villé. J'ai été heureuse de trouver dans son oeuvre un poème qui parlait de maison, d'aiguilles et de lourds tiroirs même si le reste est un peu obscur !


Moézon

chés doèts d'noùs t:êtes a floesse rache
s'aclotant dsu chés roses
ed fu
...afiques, adjules, agrapes
agreuhé-yes din chés tiloès chés lourds
tiloés, ablouques, coérions...
pi chés tayons a zius blancs
is balonchoè't' lù minton
chés raùts-bayés din lù-z oeréles
foes soùles dzeur lùs t:êtes

Maison

les doigts de nos têtes à molle rage
s'agglutinant sur les roses
...épingles, aiguilles, fibules
engourdies dans les tiroirs les lourds
tiroirs, boucles, cordons...
et les aïeux aux yeux blancs
balançaient le menton *
les loirs dans dans leurs oreilles
faux soleils sur leurs têtes

* baloncheu-ye sin minton : manger
L'Invention de la Picardie, 9


Les maisons amiénoises sont traversées par un long couloir très étroit dans lequel il est bien difficile de placer des meubles, mêmes petits. Impossible de mettre le compteur de l'entrée dans un placard. J'ai donc eu l'idée de fabriquer un habillage en lin d'ameublement et d'y broder mon poème. C'est difficile à photographier mais je pense que l'on peut se faire une idée du résultat.



Pourquoi un petit crabe juste à côté du nom ? Tout simplement parce que Ch'Vavar veut dire crabe en berckois.

Si vous désirez en savoir plus sur ce poète, les éditions Flammarion viennent de republier sa revue le Jardin ouvrier (magnifique titre, je trouve) et le numéro 78/79 de la revue Plein Chant lui est consacré.

samedi 20 décembre 2008

Echange de Noël


Fil V. Clayton Baneberry, modèle Sapin d'Elisa

Il y a quelques mois, j'ai proposé à Sylvie un échange de cadeaux brodés pour Noël. A l'époque, je la connaissais peu et je ne sais pas si qui m'a décidé à le lui demander. L'intuition que nous allions devenir très proches au point de nous écrire de vrais lettres ? Peut-être. En tout cas Sylvie est devenue une personne importante pour moi. Derrière son humour corrosif se cache une sensibilité immense et extrêmement touchante.
Je savais que Sylvie collectionnait les ciseaux et le sapin d'Elisa de cette année ne pouvait tomber mieux. Sylvie avait lancé une grand débat sur accro pour savoir de quelle couleur nous allions broder ce modèle. Cela m'a donné l'idée de sortir ce fil Vikky Clayton, passant du rouge au vieux rose et au vert (pas facile d'ailleurs à répartir sur cette grille). J'ai utilisé la même toile Cashel que pour le Salexandre mais sans la teindre. Elle est juste un peu trop lâche pour du 1/1 fil mais je l'aime bien quand même.


Sylvie aussi s'est cassé les yeux avec du 1/1 fil pour broder ce délicat père Noël Prairie Schooler. Je confirme : aucune épingle n'est tordue ! L'an passé, j'avais brodé pas mal de modèles Prairie Schooler pour mon Salpin. La simplicité de ce modèle-ci me plait. Je n'aime pas les Prairie Schooler trop chargés.
Merci Sylvie pour ton choix et ta finition parfaite (et tes cadeaux supplémentaires).


Et puis je suis sûre qu'avec toi, l'aventure se s'arrêtera pas là.

jeudi 18 décembre 2008

La lettre S


S comme Super anniversaire de Sylvie, alias Berlioz le chat qui rêve en bleu. Et pourtant mon coussinet est dans les tons de l'automme, allez savoir. En fait, je me suis inspirée de mes ciseaux Sajou en imitation nacre.
Un tout petit présent pour un grand anniversaire (si j'avais su que Sylvie changeait de dizaine, j'aurais brodé quelque chose de moins petit...)
Heureusement qu'il y avait autre chose dans mon paquet. A découvrir prochainement.

jeudi 11 décembre 2008

Oiseau en liberté


Plaisir de l'hiver : regarder depuis ma fenêtre la valse des mésanges et le festin solitaire du rouge-gorge...
Merci à Danybrod pour ce très joli modèle qui s'est envolé depuis son blog pour se poser chez moi. J'adore et je vais peut-être en faire un autre monochrome.

dimanche 7 décembre 2008

Archives


Datant de l'an quarante (ou plus exactement de 1793), un document d'archives sauvé d'une décharge.

Transcription du texte

Conseil du Temple
Du 25 Jer 1793, 2ème de la République
Le Conseil autorise le citoyen Gagné à
fournir à Elisabeth et fille capet, six
grosses serviettes, des petits linges pour
lavettes, une teyère, faire rétamé un
bouloire de cuivre et netoyer les seaux
et pour simon six serviettes ouvrés
et deux unies


Avril Cazenave
Quelques explications :

A propos de la date
(25 janvier 1793)


Décret de la Convention nationale, concernant l'ère des Français. Du 5 octobre 1793, l'an second de la République française, une et indivisible. Le décret qui fixoit le commencement de la seconde année au 1er janvier 1793, est rapporté. Tous les actes datés l’an II de la République, dans le courant du 1er janvier au 23 septembre 1793 exclusivement, doivent être regardés comme appartenans à la première année de la République.


A propos des noms


Elisabeth : Elisabeth de France, sœur de Louis XVI
fille capet : Marie-Thérèse-Charlotte de France, fille de Louis XVI
Gagné : Jean-Barthélémy Gagné, cuisinier à la prison du Temple
Simon : cordonnier, membre de la Commune de Paris et à partir du 3 juillet 1793, gardien de Louis-Charles de France, fils de Louis XVI
Avril : administrateur des travaux publics
Casenave : député des Basses-Pyrénées.


A propos du linge


serviettes ouvrés : Le linge uni, à la différence du linge ouvré ou du linge damassé, dont on se sert pour la table (dictionnaire de l’Académie française).

Belle trouvaille de Muriel qui a eu la gentillesse de partager avec nous le fruit de ses recherches.