vendredi 31 juillet 2009

Les aventures de Perrine

Perrine est la jeune héroïne du roman d'Hector Malot, En famille, paru en 1893.

En famille - titre qui fait pendant à Sans famille - présente, à travers le destin d'une jeune orpheline, la vie et l'évolution d'un grand complexe industriel de la fin du XIXe siècle : les usines Saint Frères de la vallée de la Nièvre, dans la Somme. Roman " populaire " dans la tradition des récits d'enfant à la recherche de leur origine, En famille est aussi un roman sur la question sociale qui intéressait beaucoup d'écrivains de l'époque. Car, à travers un récit dans lequel l'auteur fait, une fois de plus, la preuve de ses talents de conteur, ce sont la condition ouvrière et le patronage industriel qui sont au cœur de l'œuvre.
(Présentation de l'éditeur Encrage)

Je vous en présente deux extraits ayant rapport avec les travaux de couture.

Perrine, qui a longtemps marché pour rejoindre son grand-père à Maraucourt, doit réparer ses bas.

La poche de sa jupe contenait en plus de sa carte et de l'acte de mariage de sa mère, un petit paquet serré dans un chiffon, composé d'un morceau de savon, d'un peigne court, d'un dé et d'une pelote de fil avec deux aiguilles piquées dedans.[...]
Pour les écorchures de ses pieds, elle pensa que si elle bouchait les trous que les frottements de la marche avaient faits dans ses bas, elle souffrirait moins de la dureté de ses souliers, et tout de suite, elle se mit à l'ouvrage. Il fut long autant que difficile, car c'était du coton qu'il lui aurait fallu pour un reprisage à peu près complet, et elle n'avait que du fil.

L'enfant qui n'ose se présenter chez son grand-père de peur d'être rejetée, se fait embaucher dans une de ses usines. Dès qu'elle a gagné assez d'argent, elle achète un peu de tissus pour se confectionner une nouvelle chemise.

illustration de Lanos

Tous les jours [...] elle s'arrêtait, depuis que l'envie de la chemise la tenait, devant une petite boutique dont la montre se divisait en deux étalages, l'un de journaux, d'images, de chansons, l'autre de toile, de calicot, d'indienne, de mercerie ; se plaçant au milieu, elle avait l'air de regarder les journaux ou d'apprendre les chansons, mais en réalité, elle admirait les étoffes. Comme elles étaient heureuses, celles qui pouvaient franchir le seuil de cette boutique tentatrice et se faire couper autant de ces étoffes qu'elles voulaient ! Pendant ses longues stations, elle avait vu souvent des ouvrières de l'usine entrer dans ce magasin, et en ressortir avec des paquets soigneusement enveloppés de papier, qu'elles serraient sur leur coeur, et elle s'était dit que ces joies n'étaient pas pour elle... au moins présentement.

Mais maintenant, elle pouvait franchir ce seuil si elle voulait, puisque trois pièces blanches sonnaient dans sa main, et très émue, elle le franchit.
"Vous désirez, mademoiselle ?" demanda une petite vieille d'une voix polie, avec un sourire affable.
Comme il y avait longtemps qu'on ne lui avait parlé avec cette douceur ; elle s'affermit.
"Voulez-vous bien me dire, demanda-t-elle, combien vous vendez votre calicot... le moins cher ?
- J'en ai à quarante centimes le mètre."
Perrine eut un soupir de soulagement.
"Voulez-vous m'en couper deux mètres ?
-C'est qu'il n'est pas fameux à l'user, tandis que celui à soixante centimes...
- Celui à quarante centimes me suffit.
- Comme vous voudrez ; ce que j'en disais c'était pour vous renseigner : je n'aime pas les reproches.
- Je ne vous en ferai pas, madame."
La marchande avait pris la pièce du calicot à quarante centimes, et Perrine remarqua qu'il n'était ni blanc, ni lustré comme celui qu'elle avait admiré dans la montre.
"Et avec ça ? demanda la marchande quand elle eut déchiré le calicot avec un claquement sec.
- Je voudrais du fil.
- En pelote, en écheveau, en bobine...?
- Le moins cher.
- Voilà une pelote de dix centimes ; ce qui nous fait en tout dix-huit sous."
A son tour Perrine éprouva la joie de sortir de cette boutique en serrant contre elle ses deux mètres de calicot enveloppés dans un vieux journal invendu [...].


illustration de Lanos

5 commentaires:

Emmanuelle a dit…

Comme j'aime lire et relire ces passages où les auteurs décrivent avec force détails les merceries d'antan et leurs trésors ! Calicot, indienne... des mots souvent sortis du vocabulaire d'aujourd'hui et pourtant tellement évocateurs et emplis de rêves ! Merci Hélène pour cet extrait !
Bises

Valérie MH a dit…

Un grand merci Hélène. Ma grande fille de 9 ans s'appelle Perrine et je cherchais un livre avec son prénom. Je connaissais Sans Famille d'Hector Malo que j'avais adoré étént petite mais je ne connais pas celui-ci. Nous allons le lire ensemble.

Bises

Valérie MH a dit…

Je viens d'aller l'acheter sur Priceminister. J'ai hâte d'en partager la lecture avec mes deux filles.

Nini79 a dit…

Sans famille a été une de mes lectures d'enfance... je ne connaissais pas "en famille"... tu pourras trouver aussi de belles descriptions d'étoffe dans "au bonheur des dames" de Zola...

labergeredauvergne.blogspot.com a dit…

J'aime beaucoup le passage édité. merci pour ce bon moment. Ou puis je le trouver sur internet et sous quelle édition?
Très joli blog et enrichissant
merci La bergere d'Auvergne.