vendredi 24 avril 2009

Le paradis de Justine




J'ai brodé la toute dernière croix du marquoir que Justine, une petite fille de 8 ans, avait réalisé en 1818, deux ans avant sa mort.
Durant un moment, j'en avais assez de cet immense ouvrage (ma plus grande broderie à ce jour). Vers la fin cependant, je me suis surprise à traîner dans une sorte de jardin des délices.

L'heure de la récréation après les lignes d'écriture de la première partie et les motifs religieux du milieu.

Comme si, en compagnie de Justine, je sortais de la salle de classe ou de l'église pour m'évader dans une nature luxuriante, peuplée d'animaux et d'oiseaux.


Un paradis où les petites filles ne meurent jamais.

mercredi 8 avril 2009

Les fils de Pâques



Toujours heureuse de partager mes bouts de fils avec vous...
Mon petit pot se remplit tout doucement à la vitesse de mes coups de ciseaux. Ce sont des Sajou Art Nouveau qui m'accompagnent depuis que je brode le marquoir de Justine. Je ne suis pas vraiment une collectionneuse de ciseaux à broder mais j'en ai une dizaine que j'utilise en alternance. (Admirez au passage l'avancement de ma broderie depuis la dernière fois !).


C'est amusant, de montrer ses ciseaux en même temps que ses fils. Nadine et Bretzel se sont prêtées au jeu.





Quant à Sylvie-Chat bleu, elle m'a donné une idée pour la pleine lune prochaine. Regardez l'immense fil bleu qui traîne dans son pot de moutarde (est-ce la queue du chat bleu ?)


Et si la prochaine fois, on s'amusait à mesurer quelques uns de nos bouts de fils ? Chez moi, ils sont de toutes les tailles et chez vous ? Gaspilleuses de fils ou économes parfaites, rendez-vous le mois prochain. Je vous quitte sur cette douce image envoyée par une autre Sylvie.



Et n'oubliez-pas d'aller vous promener de fils en fils sur les blogs des participantes. Merci pour votre persévérance, votre enthousiasme et votre ponctualité.

lundi 6 avril 2009

Conte de la pleine lune

Le nouveau Marquoir étant sorti, je suis autorisée à publier sur mon blog une légende que j'avais écrite pour le numéro de Noël. Il y est question de fée, de broderie et de fête de la lune. J'en profite pour vous rappeler que la pleine lune approche. N'oubliez pas de montrer vos pots de fils et vos ciseaux préférés, le jeudi 9 avril !




LA LEGENDE D'ISADOR

N’ayez crainte, chers petits humains ! Je ne suis qu’un très vieux gnome inoffensif venu bercer vos songes nocturnes avec l’histoire merveilleuse de la fée Isador. Restez bien au chaud dans vos lits douillets et écoutez ce que je vais vous raconter…


Il y a bien longtemps, je vivais au cœur d’une lointaine forêt parmi la tribu des gnomes chenus. Nous avions de nombreuses activités qui nous occupaient sans répit : cueillette, construction de galeries, ramassage de bois... Les gros travaux ne nous effrayaient pas mais nous n’étions guère méticuleux. Les épines de ronces qu’on utilisait parfois pour raccommoder nos habits grossiers, étaient très difficiles à manier. Elles se cassaient, se tordaient, piquaient les doigts et transperçaient le tissu après bien des efforts. Au fil des ans, j’étais un des rares à avoir acquis une certaine dextérité en la matière et on avait pris l’habitude de faire appel à moi pour les rapiècements les plus désespérés.


Secrètement, je rêvais de fines étoffes, de mousselines vaporeuses pendant que je m’échinais sur le dur cuir d’une botte ou la rugueuse toile de jute d’un pantalon mille fois reprisé. Je ne pensais jamais coudre autre chose que ces affreuses loques jusqu’au jour où Isador vint me trouver en pleurs. C’était la plus fragile des fées et elle connaissait le charme de ses doux yeux enfantins. Baignés de larmes, ils avaient un reflet d’argent qui chavirait mon cœur.

- J’ai toujours été très étourdie, tout le monde le sait. Et bien, j’ai complètement oublié que la fête de la lune avait lieu dans trois semaines et les vers à soie ne pourront pas tisser le fil nécessaire à la confection de ma nouvelle robe. Je serai la plus horrible des fées et devrai peut-être retourner vivre parmi les humains.
- Pourquoi ne portes-tu pas la magnifique robe émeraude de l’année dernière ? Elle t’allait si bien…
- Tu l’avais donc remarqué ?
Bien sûr que je me souvenais d’Isador dans cette merveilleuse parure qui ressemblait aux ailes d’un papillon de nuit. Comment oublier une telle beauté ?
- Apporte-moi, cette ancienne robe. Je vais la teindre dans une autre couleur et essayer d’en modifier la forme. Je ne vois pas d’autre solution.

De ma vie, je n’avais jamais touché une matière aussi délicate. Elle était fraîche comme le pétale d’une rose, légère comme la musique d’une harpe. Isador m’avait confié cette splendeur et je pouvais la retravailler à ma guise, lui donner une seconde vie. Paniqué à l’idée de cette tâche immense, mon corps se mit soudain à trembler. Et si mes mains malhabiles faisaient un accroc dans ce voile si transparent que mes yeux habitués à la pénombre des sous-bois voyaient à peine ? C’était pure folie que de manipuler cette soie avec les doigts gourds d’un gnome. Il fallait métamorphoser la robe, mais autrement.

Au gré de mes promenades sylvestres, je ramassais de ci de là quelques cheveux d’elfes restés accrochés aux feuillages et récoltais de jolis fils irisés tissés par les araignées. Trop fragiles pour la couture, ils pourraient néanmoins être appliqués sur la soie à l’aide de mon aiguille. Prenant peu à peu confiance en moi, je laissais enfin parler mon imagination et dessinais point par point une ribambelle de motifs aux reflets subtils. Je faisais naître des entrelacs, des cœurs, des frises de fleurs, inventais toutes sortes de manières de croiser mes fils. Ils faisaient tantôt une croix, tantôt un nœud ou une tige…

Sous les rayons de la lune, la robe d’Isador fut cette année-là la plus belle. L’étoffe vert émeraude avait disparu derrière les ornementations qui mêlaient les éclats bleutés d’une chevelure elfique aux brillances de la soie des arachnides. L’art de la broderie était né, pour les beaux yeux de la fée Isador.

Que cette histoire reste à jamais secrète entre nous. Inutile de scandaliser vos gentilles mamans brodeuses en leur révélant que c’est un gnome qui inventa leur passe-temps favori. D’ailleurs, elles ne vous croiraient sans doute pas…

(c) Hélène croix de lune, Le Marquoir, n°64

mercredi 1 avril 2009

Les fils anonymes


Muriel, une fouilleuse de génie, a déniché ce marquoir insolite dans une brocante et me l'a offert. Elle trouvait qu'il était dans le même esprit que notre aventure des "fils en poussière". Ce n'est pas faux.


Regardez-le, avec son alphabet dont il ne reste que quelques lettres passées et son oiseau brodé à l'envers. Il est un peu miteux, sans valeur (comme nos fils en trop) et pourtant il dégage un charme indéfinissable.




Il suffit de suivre les traces des fils défaits par le temps, de retrouver l'empreinte des lettres envolées, et la brodeuse qui a ébauché ce marquoir semble surgir du passé.


C'est encore une enfant, maladroite et distraite. Je l'imagine reprenant l'ouvrage resté inachevé à la fin de l'année scolaire. La maîtresse n'avait pas eu le temps de faire broder aux élèves leur nom et la date alors il y a encore beaucoup de place sur la toile Pénélope. Poussée peut-être par une parente qui en avait assez de la voir traîner à ne rien faire, elle a repris son canevas à contrecoeur et brodé son volatile tête à l'envers.



Son oiseau de misère, fini tant bien que mal avec des fils disparates, pourrait bien devenir le symbole de nos fils en poussière. Surtout s'ils finissent leur recyclage dans un nid...